MORFOUACE Augustin

 

Sa vie exemplaire de Capitaine au Long Cours Cap Hornier.

 

Né à Langrolay (Côte d’Armor) le 27 juillet 1870, Augustin, François, Morfouace, aîné de famille et orphelin, son père ayant disparu sur les Bancs de Terre Neuve. Il n’a pas encore 14 ans lorsqu’il embarque pour la première fois en qualité de mousse à bord d’une goélette Saint Pierraise.

 

Cinq ans plus tard, il embarque comme second sur un voilier du même type et sans aucun brevet, commandait aux bancs à 21 ans. Il fit 10 campagnes de pêche à la morue sur les Bancs de Terre Neuve dont 1 comme mousse, 5 comme matelot, 2 comme second, et 2 comme patron. Il pratiqua avec courage et compétence ce dur métier de la Pêche aux Bancs.

 

Estimé par ses patrons successifs, ceux ci le firent travailler les mathématiques et la cosmographie à bord, en vue de la préparation des examens de la Marine Marchande.

 

Il quitta la Pêche à la morue à 23 ans pour aller naviguer en qualité de second au long cours à bord de l’Armement Legasse qui effectuait des voyages entre St Pierre et Miquelon, les Antilles et la France. Travailleur acharné, il passa avec succès ses examens de Capitaine au Long Cours à Paris en 1895.

 

Il offrit alors ses services au fameux armement Antoine Dominique Bordes et rejoignit Nantes pour occuper les fonctions de second capitaine à bord de la MADELEINE qui étant le premier des cinq mâts construits aux Chantiers de la Loire, fut mis à l’eau le 23 juillet 1895. En moins d’un an, il effectua deux voyages des Mers du Sud (Chili et Australie). C’est alors qu’il doubla pour la première fois le Cap Horn, dit Cap Dur, par les marins.

 

Puis, il obtint son premier commandement à bord du 3-mâts CARIOCA sur lequel il n’effectua qu’un seul voyage. Il embarqua ensuite comme capitaine du 3-mâts QUILLOTA (1 voyage), du 4-mâts TARAPACA (1 voyage), et enfin du 4-mâts DUNKERQUE, à bord duquel il effectua 12 voyages.

 

Le DUNKERQUE fut lancé le 11 août 1896 aux chantiers Laporte à Rouen. Ce fut un des meilleurs navires de chez Bordes. C’est au cours de ses voyages à bord de ce superbe voilier qu’il connaîtra les heures les plus difficiles et les plus grandes joies de sa carrière. Nous le développerons plus loin. Il terminera sa navigation à bord du MAGELLAN dont il sera le capitaine durant deux voyages en remplacement du commandant Bégaud.

 

Ce fut au long cours une navigation ininterrompue de 1894 à 1911 sauf quelques mois de repos tous les deux ans. Pendant ces campagnes dans les Mers du Sud, il doubla à l’aller comme au retour 34 fois le Cap Horn.

 

Nommé Capitaine d’Armement Inspecteur de la Maison Bordes en 1911, il restera 2 ans en activité au Chili où il y effectua trois séjours. Il a d’ailleurs achevé ses 300 mois de navigation comme Subrécargue sur les différents navires dont il avait à s’occuper tant dans les ports du Chili qu’en Europe.

 

Augustin Morfouace fut le premier Capitaine à être chargé de la délicate mission de remédier à certains abus des chargeurs : Surveillance de la qualité du nitrate fourni par certaines usines. Son arrivée à Iquique ne fut pas appréciée des fournisseurs et des chargeurs. Il s’ensuivit des résultats intéressants tant sur la qualité du nitrate de soude embarqué que sur les pertes de poids : en effet, les lanchas qui n’étaient pas déchargées avant la tombée de la nuit retournaient au mouillage, près de terre, et étaient pointées une seconde fois le lendemain matin.

 

C’est au cours d’un de ses 3 rapatriements du Chili vers l’Europe, à bord d’un 4-mâts Anglais que notre Grand-père prit le dessus sur le jeune capitaine britannique, insuffisamment expérimenté, afin de faire effectuer à l’équipage les manœuvres qui sauvèrent le voilier d’une certaine perte en pleine tempête, du côté des Malouines.

 

Je n’ai rien de spécial à signaler concernant ma navigation, dit-il, si ce ne sont les aléas ordinaires du métier et le sauvetage à l’entrée du Golfe de Gascogne, en avril 1906, de 26 hommes provenant de l’équipage du navire école belge COMTE DE SMET DE NAYER, sauvetage pour lequel je reçus une récompense, La Croix de Léopold de Belgique, la Médaille d’Or du Ministre de la Marine française, et un chronomètre en or.

 

En 1912, le capitaine Morfouace remplaça le capitaine Guguen, à l’Agence Bordes de Dunkerque, mais dût quitter ce port lorsqu’il fut fermé en 1915.. Il fut alors nommé capitaine d’armement à l’Agence de la Rochelle où il exerça dix ans avant de rejoindre Dunkerque ; II y achèvera sa carrière jusqu’à la dissolution du fameux Armement le 31 août 1934, ayant alors accompli 26 ans de navigation et 23 ans d’Armement.

 

Le capitaine Morfouace était très connu à Nantes qu’il rejoignait avant chacun de ses embarquements pour recruter ses équipages. Il eut aussi de nombreuses relations lors de ses années d’Armement, en particulier, lors de son séjour à la Rochelle.

 

L’Esprit de compétition :

 

Le capitaine Morfouace fut un des meilleurs spécialistes des voyages du Cap Horn et fit toujours de belles traversées. Il mit 65 jours à sa plus courte et 96 jours à sa plus longue à bord du DUNKERQUE. En 1905, à bord de ce même voilier, parti sur lest, il effectuera sa traversée en 67 jours. A l’Armement Bordes, l’exploitation fut toujours poussée. C’était la tradition de la Maison, la rapidité des voyages étant un bon facteur de bénéfices. 90 jours étaient considérés comme la durée normale d’une traversée entre la sortie de la Manche et le Chili et 95 jours comme suffisants au retour entre Valparaiso et le Cap Lizard. Tout Capitaine qui ne dépassait pas ces délais recevait une prime de 500 francs ainsi qu’une bonification de 100 francs par journée gagnée, ce qui incitait les Capitaines à faire de la toile.

 

Le DUNKERQUE avait une réputation de grand marcheur : Il s’honorait de plusieurs records de vitesse. A plusieurs reprises, le capitaine Morfouace eut l’occasion de régater avec les voiliers allemands PREUSSEN et POTOSI de l’Armement Laiecz. En 1908, toujours sur le DUNKERQUE, le commandant Morfouace sortit du Canal de Bristol comme le 5-mâts PREUSSEN signalait son passage au Cap Lizard et arriva en même temps que lui à Iquique après 60 jours de mer.

 

La conviction de notre Grand-père basée sur de nombreuses rencontres avec les fameux 5-mâts allemands, était que ceux ci pouvaient avoir un léger avantage sur son navire au plus prés et par forte brise.

 

Le POTOSI se perdit au Cap Lizard, drossé sur les rochers par gros temps.

 

C’est à bord du DUNKERQUE que notre Grand-père Morfouace connu auprès de son équipage les heures les plus mauvaises de son existence.

Le 10 octobre 1903, le DUNKERQUE quitte la Tyne, chargé de houille de Newcastle, derrière le remorqueur allemand ROLAND, de 1500 C.V. et 1200 Tonnes. Le temps était brumeux, le vent frais de N-E., le baromètre en baisse. Le remorqueur trop chargé est noyé par la mer, il tâche de se maintenir debout aux lames, mais le vent forcit et en dépit de sa puissance, il ne peut réussir à tenir le DUNKERQUE. Les deux navires se rapprochent peu à peu de la terre. A 22 heures, dans un coup de tangage, la remorque casse. Le ROLAND abandonne alors le quatre mâts à son sort et s’enfuit vers Ijmuiden en Hollande afin de s’y mettre à l’abri.

 

Le DUNKERQUE à ce moment, est si près du feu de Sunderland que du rivage, on le croit échoué. Il n’en est rien toutefois, la situation n’est guère plus belle pour cela! Mouiller une ancre, elle ne crochera pas !. La seule chance est d’essayer de s’élever de la côte, à la voile ! Morfouace va le tenter, sans beaucoup d’espoir : En pleine obscurité, par tempête, et avec une visibilité réduite, faire monter les gens dans la mâture, c’est presque les envoyer à la mort. Tous à bord, Morfouace, son second Baujean et ceux de l’équipage, tous sont Matelots premier brin et ils savent. Dans la tourmente qui fait rage maintenant, les voiles d’étai basses, le petit foc, et l’artimon sont établies. Les 3 huniers fixes sont bordés. L e DUNKERQUE prend un peu de vitesse, mais continue de dériver,

 

Amurez et bordez la misaine ! ordonne Morfouace.

 

Le DUNKERQUE atteint 5 nœuds et fait route parallèle à la côte.

 

A établir les grands voiles à un ris !

 

Sept nœuds, dérive nulle, mais le DUNKERQUE fatigue tellement que tous ses hublots sous le vent sont cisaillés. Il se couche, l’eau vient sur le pont, à hauteur des hiloires de panneaux. Au matin, dans une éclaircie, le phare de Witby apparaît à 10 degrés sous le vent. C’est peu pour pouvoir le franchir et Morfouace fait établir le grand hunier volant à un ris. A cet instant le vent recule, hâlant le Nord. Le DUNKERQUE est sauvé. Il se dirige vers le Dogger Bank où il prendra la cape.

 

Cet épisode n’a l’air de rien, vu à distance et conté dans la chaleur d’un logis confortable. Pourtant, 40 ans après, notre Grand-père n’avait pas encore compris comment ils avaient pu s’en tirer cette nuit là. Il se demandait toujours comment il avait pu faire exécuter ces manœuvres périlleuses sans avaries et sans accidents de personnes, et sortir de cette situation désespérée dont seules, qualités du navire, celles de ses hommes et son énergie, purent le tirer..

 

 

Président d’Honneur de l’Amicale des Capitaines au Long Cours Cap Horniers.

Chevalier de la Légion d’Honneur.

Officier du Mérite Maritime.

 

Il était l’un des 35 membres fondateurs de l’Amicale des Cap Horniers, en mai 1937.

 

 

 

 

 

 

LE NAUFRAGE DU TROIS-MÂTS CARRE COMTE DE SMET DE NAEYER, VOILIER ECOLE BELGE.

 

A bord du voilier école, le Commandant Fourcault et les officiers mirent tout en oeuvre pour sauver le navire, mais on ne découvrit pas la voie d’eau mystérieuse. Les pompes à mains ne parvinrent à empêcher l’eau de monter de manière angoissante. On ne réussit pas à actionner les pompes à vapeur. Le 19 avril 1906, Le Capitaine Fourcault annonça à l’équipage épuisé que le navire sombrait. Les chaloupes furent mises à l’eau, mais dans la tension de cet instant fatal, les chaloupes chavirèrent l’une après l’autre. Un seul canot de sauvetage, le N° 4, put déborder avec 22 hommes à bord pour recueillir ensuite un matelot et un cadet. Et, au moment de s’écarter du navire, les hommes du canot aperçurent deux têtes d’hommes à la surface de la mer. C’était le 1er et le 2ème lieutenant qui furent ainsi, in extremis, les deux seuls rescapés de l’Etat Major du navire école,

 

Au moment où l’amarre reliant le canot de sauvetage au COMTE DE SMET DE NAEYER fut tranchée, le nouveau navire école disparut dans les flots. Il était parti de Flessingue pour son deuxième voyage. La catastrophe se produisit après 6 jours de mer, dans le nord du Golfe de Gascogne, à environ 300 milles de la côte française. Le beau trois mâts sombra le jeudi 19 avril 1906, à 07 heures du matin, la position estimée étant 47°12’N et 0l 2 ° 30’W de Greenwich, par temps maniable, disparaissant dans les flots, en position quasi horizontale.

 

Les naufragés furent recueillis par le quatre-mâts DUNKERQUE, sous le commandement du capitaine Morfouace.

 

RECIT DU SAUVETAGE :

 

Ce même 19 avril 1906, vers 16 h 00, faisant route vers l’Est et se trouvant à environ 300 milles marins à l’Ouest d’Ouessant, les rescapés aperçurent au loin un voilier et le canot modifia sa route pour aller à sa rencontre. C’était le quatre-mâts barque DUNKERQUE qui avait aperçu le canot et les signaux. Il était commandé par le capitaine Augustin Morfouace, venant du Chili et en route sur Falmouth pour ordres.

 

Vers 17 h 00, les 26 rescapés du COMTE DE SMET DE NAEYER furent recueillis à bord de ce beau voilier de la Compagnie A.D.Bordes de Dunkerque. Le naufrage fut certainement signalé par pavillons au poste de Falmouth. Mais alors qu’il pensait pouvoir débarquer les rescapés à son passage devant Dunkerque, le capitaine Morfouace reçut, par l’intermédiaire d’un remorqueur de sa Compagnie, au large de Dunkerque même, l’ordre de continuer vers Cuxhaven ainsi que les instructions formelles de ne rien répéter de ce qu’il avait pu apprendre des marins du COMTE DE SMET DE NAEYER au sujet du sinistre.

 

Qui donna cet ordre, et pourquoi, restera un mystère.

 

Le DUNKERQUE arriva à Cuxhaven le samedi 28 avril 1906. Trente trois personnes parmi lesquelles 18 cadets, le Commandant, 2 Officiers et l’Aumônier, trouvèrent une mort de marin.

 

Notre Grand-père reçut pour cet exploit, la Croix de Léopold de Belgique, la Médaille d’Or de la Marine française, ainsi que quelques souvenirs..

 

Marin éprouvé, expérimenté, intelligent et loyal notre Grand-père Morfouace ne se payait pas de mots, parce que mieux que quiconque, il connaissait la valeur de l’action. Il transmit son expérience et forma de nombreux jeunes officiers à la rude école de la voile. C’est ainsi une des plus belles figures de la Marine à Voile, qui disparut à Pleslin où il s’était retiré.

 

Il s’éteint le 8 avril 1950 assis dans son fauteuil et lisant son journal, après s’être occupé de son jardin depuis l’aurore. Il repose au cimetière de Pleslin (Côte d’Armor).

 

Son Livret Professionnel Maritime est visible dans une vitrine au Musée International du Long cours Cap Hornier, à la Tour Solidor à Saint Servan. Une page du premier Livre d’Or, lui est consacrée.

 

Article rédigé par le Commandant Le Roux Alain, de la Compagnie Générale Maritime,, petit-fils du Capitaine Augustin Morfouace, à l’aide de souvenirs de famille et de la bibliographie citée ci dessous.

 

Fait à Quimper, le 10 septembre 1992.