Il
y avait là son bureau, sa chambre, sa salle de bains et puis une petite
chambre pour le maître d'hôtel. De l'autre côté c'était le second
qui avait la première cabine, puis le 1 er lieutenant, le 2ème
lieutenant et le 3ème lieutenant. Il y avait une chambre pour passagers
également.
Les 1 et 2ème lieutenants faisaient le quart. Le 3ème lieutenant était généralement chargé des vivres. Il ne commandait pas généralement le quart sauf quelquefois dans les beaux temps des alizés s'il s'en montrait capable. Au
centre il y avait ce qu'on appelle le salon, éclairé par une très
grande claire-voie qui était presque une serre tellement c'était grand
et tout vitré. Comme il était au-dessus de l'eau, les paquets de mer
n'arrivaient jamais jusque là. Le salon de la « Marguerite Mirabaud »
avait 9 mètres de long à peu près, sur 5 de large. Cela représente
tout de même une très grande pièce. Il y avait une très très grande
table en acajou avec des fauteuils tournants. Le
salon de tous les navires long-courriers a toujours été la pièce
luxueuse du bord. Il était revêtu de panneaux assez étroits dont le
centre était presque toujours en bois jaune clair, citronnier ou autre
bois dont le nom m'échappe, bois coloniaux très jolis. L'entourage était
presque toujours en teck verni ou en acajou. Il y avait des colonnes
coiffées de feuilles d'acanthe et puis, tout le long, une main courante
en acajou et tout cela avec du cuivre un peu partout, astiqué par le maître
d'hôtel. C'était vraiment joli. Il y avait des bateaux qui avaient des
salons vraiment superbes. Sur le « Félix Faure », il était bien sans
être luxueux; j'en ai vu de plus beaux. Un navire de la Maison
Bordes de Dunkerque avait un salon, cela ne vous dira peut-être rien,
mais qui avait coûté, paraît-il, 75.000 francs C'était le
bateau-amiral de la flotte de Messieurs Bordes. Le capitaine invitait les officiers à sa table le dimanche. Autrement, en semaine, ils avaient un autre carré, entre la cabine du second capitaine et la cabine du 1er lieutenant. Ce n'était pas pour les tenir à part, mais c'est parce qu'ils étaient toujours occupés. Ils avaient beaucoup à faire et ils n'avaient pas toujours le temps de faire assez de toilette pour être convenables à la table du capitaine. Les
chambres étaient très bien aménagées. Il y avait des couchettes tout
en acajou, deux tiroirs au-dessous pour mettre les vêtements sur leur
longueur, une grande armoire en acajou également, un lavabo et puis un
grand canapé. Les cabines étaient recouvertes d'un lino très épais,
comme il y en a sur tous les planchers des navires. Le roof des maîtres,
c'est à dire du petit état major, était situé entre la dunette et le
grand mât. Le petit état major comprenait le maître d'équipage, deux
seconds maîtres d'équipage, un maître charpentier et un mécanicien
pour la chaudière. Ces
navires n'avaient pas d'hélice mais nous avions des treuils à vapeur
pour les déchargements dans les ports. Pendant toute la traversée, le
mécanicien n'avait pas grand chose à faire, mais dans les ports,
surtout en Nouvelle Calédonie, l'entretien des treuils et de la chaudière
luis faisait payer largement le repos qu'il avait pu prendre pendant la
traversée. Plus
loin, derrière le mât de misaine, il y avait un très grand roof qui
était divisé en trois parties: sur l'avant, la cuisine et derrière le
poste d'équipage divisé en deux parties, tribord et bâbord. Il y
avait une quinzaine de couchettes dans chaque poste et une salle à
manger. Enfin, à l'arrière de ce roof, on trouvait la chaudière avec
ses caisses à eau. Il y avait trois treuils de déchargement au pied de
chaque mât et, sur le gaillard, il y avait un guindeau à vapeur pour
hisser les ancres parce qu'on aurait jamais eu la force de les hisser à
la main, comme on faisait dans le temps, au moyen d'un cabestan. |
Les
hommes étaient divisés en tribordais et bâbordais. Comme disaient les
matelots «Tribord c'est tribord et bâbord c'est bâbord ». Cela n'empêchait
pas d'être bons camarades mais il y avait des jalousies par exemple, au
point de vue peinture. « Tribord voulait avoir plus de peinture que bâbord
» ou inversement. Nous étions obligés d'y mettre souvent le holà. La
discipline était très stricte à bord et la vie n'était pas toujours
rose. Les quarts étaient de quatre heures et lorsque les hommes se
trouvaient sur le pont par mauvais temps, ils se promenaient entre la
dunette et le gaillard parce qu'ils ne pouvaient pas dormir dans
l'humidité des paquets de mer. Les matelots faisaient chacun une heure
de barre et lorsqu'ils avaient quitté la barre sur la dunette, ils
allaient sur le gaillard avant faire une heure de bossoir. Les bossoirs,
ce sont ces pièces qui supportent les ancres à jeter à la mer au
moment du mouillage. A bord, on appelait l'ensemble du gaillard-avant «le
bossoir ». Etre de veille de bossoir, cela signifiait veiller les
navires ou tout ce que l'on voudra, la terre ou un iceberg, enfin tout
ce qui peut arriver dans les mers du sud. Lorsque
le matelot avait fini son heure de barre, il sonnait la cloche placée
sur la tortue de la barre. Alors, l'homme de bossoir sur le
gaillard-avant entendait cette cloche et il sonnait lui aussi le même
coup. A ce moment, l'homme de quart qui savait devoir succéder à la
barre pour la deuxième heure, montait sur la dunette en passant sous le
vent et venait prendre la barre ainsi que les consignes. L'homme qui
avait fini son heure de barre se dirigeait alors vers l'officier qui se
promenait sur la dunette, toujours dans le sens de la longueur du
navire. En effet, on ne se promenait jamais de droite à gauche sur un
voilier à cause de la gîte qui provient de la force du vent sur les
voiles. L'officier de quart se promenait uniquement du côté du vent et
l'homme qui venait de quitter la barre lui disait : " Monsieur,
j'ai donné le cap à tel degré " Il revenait ensuite vers l'arrière,
faisant le tour de la claire-voie entre la barre et le compas et s'en
allait du côté sous le vent, en descendant par l'échelle de dunette
sous le vent, pour s'en aller relever l'homme de bossoir, qui lui disait
traditionnellement : " Il n'y a rien de nouveau. " L 'homme de
bossoir relevé se dirigeait alors vers l'arrière et lorsqu'il était
arrivé au pied de la dunette, il attendait que l'officier de quart dans
sa promenade arrive sur l'avant de la dunette pour lui dire : "
Monsieur, il n'y a rien de nouveau aux bossoirs, les feux sont clairs
" Un
quart d'heure avant la fin du quart, la petite cloche de la dunette
sonnait à toute volée et la grande cloche du gaillard lui répondait.
C'est à ce moment qu'un des hommes de quart se dirigeait vers le poste
d'équipage ouvrait la porte et criait de la voix la plus puissante
possible : " Debout au quart ! " et s'il faisait mauvais temps
il ajoutai : " Bottes et casaques
". Ce qui voulait dire qu'il fallait mettre les bottes et le ciré.
La
bordée qui devait prendre la relève montait sur le pont et les deux
bordées étaient rassemblées devant la dunette. L'officier de quart
faisait l'appel de sa bordée et l'officier qui prenait la relève
faisait également l'appel de la sienne. Si personne ne manquait à
l'appel, l'un des officiers disait : " En bas qui n'est de quart
". Alors le quart descendant s'en allait dormir. Les deux chefs de
quart se relevaient mais l'officier descendant restait encore au moins
un quart d'heure avec celui qui venait de monter pour bien le mettre
dans l'ambiance. Quelquefois par temps à grain, on voyait monter un
grain à l'horizon et l'officier disait à son collègue:
"Attendons le grain qui vient. " Lorsque le grain arrivait et
s'il était bien supporté, le nouveau chef de quart concluait alors:
" Bon, ça va bien, va te coucher ". Texte aimablement communiqué par Monsieur PARINGAUX |